La décision de la Haute Cour de Delhi, le 8 août, d’invalider les dispositions centrales de la loi de Bombay sur la prévention de la mendicité, 1959, comme arbitraires et violant le droit à la vie et à la liberté, est un coup massif porté à la criminalisation du vagabondage en Inde. En effet, l’observation de la Cour selon laquelle « la criminalisation de la mendicité viole les droits les plus fondamentaux de certaines des personnes les plus vulnérables de notre société » appelle à une révision radicale des lois régissant le traitement des vagabonds et des mendiants. Bien que ce jugement vise la loi de 1959, l’une des législations les plus importantes qui criminalisent la mendicité et qui est en vigueur dans plusieurs États, son raisonnement sous-jacent touche au cœur de législations similaires qui ont été promulguées ou adoptées par au moins 20 États et deux territoires de l’Union. Bien qu’elles visent nominalement à lutter contre la mendicité, la portée étendue de la plupart de ces lois implique qu’elles sont mieux comprises comme des lois sur le vagabondage.
Infusées d’un cocktail toxique d’héritage colonial et de paternalisme étatique, ces législations sur le vagabondage incarnent une approche punitive qui criminalise la privation. Selon la chercheuse juridique Usha Ramanathan, les lois sur le vagabondage en Inde créent « une présomption de criminalité chez les personnes ostensiblement pauvres ». Contrairement au droit pénal traditionnel qui associe la responsabilité des actes à l’élément mental requis, les lois sur le vagabondage font de l’indigence et de l’appauvrissement un crime en soi. Par exemple, le Bengal Vagrancy Act, 1943, définit les « vagabonds » comme étant non seulement les personnes trouvées en train de demander l’aumône, mais aussi celles trouvées « errant ou restant dans tout lieu public dans une condition ou d’une manière telle qu’il est probable que cette personne existe en demandant l’aumône ». Le fait que les lois sur le vagabondage concernent davantage les pauvres publics que l’acte de mendicité est amplement démontré par la loi de 1977 sur la prévention de la mendicité de l’Andhra Pradesh, qui définit la mendicité comme incluant « le fait de ne pas avoir de moyens de subsistance ostensibles et d’errer ou de rester dans tout lieu public ».
Sans surprise, une grande partie des pauvres urbains, y compris les maçons, les vendeurs de journaux, les vendeurs de rue et les travailleurs migrants, ont été pris dans la toile de ces lois. Une étude réalisée par Koshish, un projet de l’Institut Tata des sciences sociales, a révélé que la plupart des personnes arrêtées à Mumbai en vertu de la loi de Bombay sur la prévention de la mendicité étaient des sans-abri détenus par la police lors de campagnes de nettoyage. Même la Haute Cour de Delhi a reconnu que les agences de l’État « utilisent sans-abri et mendicité comme des synonymes et détiennent en fait les sans-abri comme s’ils mendiaient ». Une telle incarcération éhontée des pauvres en milieu urbain n’est cependant pas une aberration. Au contraire, elle fait partie intégrante de la conception et de l’administration des lois sur le vagabondage.
Citoyens, pas délinquants
L’utilisation principale des lois sur le vagabondage dans ce pays est un outil de contrôle social et, ce que l’universitaire américain Caleb Foote a décrit dans son étude séminale sur les lois sur le vagabondage à Philadelphie, « comme la poubelle du droit pénal ». Le fait que des personnes puissent être détenues à long terme à la suite d’une simple enquête sommaire a rendu les lois sur le vagabondage particulièrement attrayantes pour les organismes d’État, qui peuvent ainsi incarcérer les personnes considérées comme socialement indésirables. Les récits anecdotiques des administrateurs des maisons de vagabondage suggèrent également que la police a régulièrement recours aux lois sur le vagabondage pour contourner les garanties des lois de procédure pénale ordinaires. En tant que telles, les lois sur le vagabondage en Inde normalisent la détention arbitraire et continue des pauvres en violation flagrante de leurs droits constitutionnels et cherchent ainsi à les rendre invisibles de la sphère publique. Ces lois sont parmi les plus grands exemples de déni de l’égalité de citoyenneté et de marginalisation des pauvres.
Comme l’a reconnu la Haute Cour de Delhi, le vagabondage est un problème d’exclusion sociale. Il est donc essentiel de concevoir le vagabondage comme une question sociale et économique plutôt que comme une activité criminelle. En d’autres termes, les vagabonds ne doivent pas être considérés comme des délinquants qui doivent être soumis aux lois punitives de l’État. Ils doivent être traités comme des citoyens et des détenteurs de droits qui ont besoin de la protection et des soins de l’État. En effet, la Constitution indienne promet l’égalité, la justice et le droit de vivre dans la dignité à tous les individus. Plus précisément, l’article 41 de la Constitution dit que l’État doit prendre des dispositions efficaces pour garantir le droit « à l’assistance publique en cas de chômage, de vieillesse, de maladie et d’invalidité et dans d’autres cas de besoin immérité dans les limites de son développement économique et de ses capacités ».
Mais les nombreuses lois indiennes sur le vagabondage ne respectent pas ce mandat constitutionnel. En mettant l’accent sur les mesures punitives, elles punissent les pauvres pour « l’embarras de la pauvreté » et le manquement de l’État à ses obligations constitutionnelles. En fait, ces lois ont engendré une culture administrative où le maintien de l’ordre des pauvres a pris la priorité sur la prise en charge des pauvres.
Revue des lois sur le vagabondage
Le ministère de la Justice sociale et de l’Autonomisation de l’Union a bien publié le projet de loi sur les personnes en situation de dénuement (protection, soins et réhabilitation), 2016, sur la dépénalisation de la mendicité, comme modèle à suivre pour les États. Bien que ce projet de loi ne supprime pas complètement la détention des mendiants, il constitue une rupture importante en mettant l’accent sur la protection et la réhabilitation plutôt que sur des mesures punitives. En conséquence, certains États ont entamé le processus de révision de leurs lois sur le vagabondage. Cependant, la plupart de ces tentatives n’ont pas encore permis de réaliser des progrès significatifs.
Dans ce contexte, la décision de la Haute Cour de Delhi constitue un correctif immensément significatif contre la culture plus large de l’impunité, de la privation des droits et de la criminalisation des pauvres. Comme l’a souligné la présidente sortante de la Haute Cour de Delhi, Gita Mittal, « l’État ne peut tout simplement pas ne pas faire ce qu’il faut » : « L’État ne peut tout simplement pas manquer à son devoir de fournir une vie décente à ses citoyens et ajouter l’insulte à l’injure en arrêtant, en détenant et, si nécessaire, en emprisonnant ces personnes, qui mendient, à la recherche des éléments essentiels à la simple survie. »
En établissant de manière aussi catégorique que l’État ne peut pas criminaliser la mendicité en soi, la Haute Cour a non seulement agi comme une sentinelle vigilante des droits constitutionnels, mais a également créé une opportunité sans précédent pour une révision des lois sur le vagabondage dans tout le pays. Il est temps pour les gouvernements des États de relever le gant lancé par la Haute Cour et de commencer le processus de dépénalisation du vagabondage et de création d’un cadre fondé sur le consentement pour la protection, les soins, le soutien et la réhabilitation de toutes les personnes en situation de dénuement.
Saurabh Bhattacharjee enseigne le droit et l’appauvrissement, entre autres cours, à l’Université nationale des sciences juridiques de la WB, à Kolkata, et a été membre d’un comité constitué par le gouvernement du Bengale occidental pour réviser la loi sur le vagabondage du Bengale, 1943.