Nicolas Ier de Russie

La politique étrangère agressive de Nicolas impliquait de nombreuses guerres coûteuses, ayant un effet désastreux sur les finances de l’empire. Nicolas a prodigué son attention à sa très grande armée ; sur une population de 60 à 70 millions de personnes, l’armée comptait un million d’hommes. Elle dispose d’un équipement et de tactiques dépassés, mais le tsar, qui s’habille comme un soldat et s’entoure d’officiers, se glorifie de la victoire sur Napoléon en 1812 et tire une énorme fierté de son intelligence lors des défilés. Les chevaux de la cavalerie, par exemple, n’étaient entraînés que dans des formations de parade, et se comportaient mal au combat. Les paillettes et les galons masquaient des faiblesses profondes qu’il ne voyait pas. Il a placé des généraux à la tête de la plupart de ses agences civiles sans tenir compte de leurs qualifications. Un agnostique qui s’est illustré dans des charges de cavalerie a été nommé superviseur des affaires de l’Église. L’armée devient le véhicule de la mobilité sociale ascendante pour les jeunes nobles des régions non russes, comme la Pologne, la Baltique, la Finlande et la Géorgie. D’autre part, de nombreux mécréants, petits criminels et indésirables étaient punis par les fonctionnaires locaux en étant enrôlés à vie dans l’armée. Le système de conscription était très impopulaire auprès de la population, tout comme la pratique consistant à obliger les paysans à loger les soldats pendant six mois de l’année. Curtiss constate que « le pédantisme du système militaire de Nicolas, qui mettait l’accent sur l’obéissance irréfléchie et les évolutions sur le terrain de parade plutôt que sur l’entraînement au combat, produisait des commandants inefficaces en temps de guerre ». Ses commandants dans la guerre de Crimée étaient vieux et incompétents, et en effet, ses mousquets aussi, car les colonels vendaient le meilleur équipement et la meilleure nourriture.

Pendant une grande partie du règne de Nicolas, la Russie était considérée comme une grande puissance militaire, avec une force considérable. En fin de compte, vers la fin de son règne, la guerre de Crimée a démontré au monde ce que personne n’avait réalisé auparavant : La Russie est militairement faible, technologiquement arriérée et administrativement incompétente. Malgré ses grandes ambitions vers le sud et la Turquie, la Russie n’avait pas construit son réseau ferroviaire dans cette direction, et les communications étaient mauvaises. La bureaucratie est criblée de pots-de-vin, de corruption et d’inefficacité et n’est pas préparée à la guerre. La marine est faible et technologiquement arriérée ; l’armée, bien que très nombreuse, n’est bonne que pour les parades, souffre de colonels qui empochent la solde de leurs hommes, d’un mauvais moral et est encore plus déconnectée des dernières technologies développées par la Grande-Bretagne et la France. À la fin de la guerre, les dirigeants russes sont déterminés à réformer l’armée et la société. Comme le note Fuller, « la Russie avait été battue sur la péninsule de Crimée, et les militaires craignaient qu’elle soit inévitablement battue à nouveau si des mesures n’étaient pas prises pour surmonter sa faiblesse militaire. »

La capitale de la Compagnie russo-américaine à New Archangel (aujourd’hui Sitka, Alaska) en 1837

Militariste intense, Nicolas considérait l’armée comme la meilleure et la plus grande institution de la Russie et comme un modèle pour la société, disant :

« Ici, il y a de l’ordre. … Toutes les choses découlent logiquement les unes des autres. Personne ici ne commande sans avoir d’abord appris à obéir. Personne ne s’élève au-dessus de quiconque, sauf à travers un système clairement défini. Tout est subordonné à un but unique et défini et tout a ses désignations précises. C’est pourquoi j’aurai toujours la plus haute estime pour le titre de soldat. Je considère la vie humaine comme un service parce que tout le monde doit servir. »

Nicolas était souvent exaspéré par la lenteur de la bureaucratie russe et avait une préférence marquée pour la nomination de généraux et d’amiraux à des rangs élevés du gouvernement en raison de leur efficacité perçue. Parmi les hommes qui ont servi en tant que ministres de Nicolas, 61% avaient déjà servi en tant que général ou amiral. Nicolas aime nommer des généraux qui ont déjà combattu, et au moins 30 des hommes qui ont servi comme ministre sous ses ordres ont participé aux guerres contre la France, l’Empire ottoman et la Suède. Cela s’est avéré être un handicap dans le sens où le genre de qualités qui pouvait rendre un homme distingué sur les champs de bataille, comme la bravoure, ne rendait pas nécessairement un homme capable de diriger un ministère. Le cas le plus notoire est celui du prince Alexandre Sergueïevitch Menshikov, un commandant de brigade compétent de l’armée impériale qui s’est avéré dépassé par les événements en tant que ministre de la Marine. Parmi les ministres de l’Empereur, 78 % étaient des Russes ethniques, 9,6 % étaient des Allemands baltes, tandis que le reste était constitué d’étrangers au service de la Russie. Parmi les hommes qui ont servi comme ministres sous Nicolas, 14 avaient été diplômés de l’université tandis que 14 autres avaient été diplômés d’un lycée ou d’un gymnase, et le reste avait tous été éduqué par des tuteurs.

EuropeEdit

Nicolas Ier dans un portrait équestre

En politique étrangère, Nicolas Ier a agi comme protecteur du légitimisme dirigeant et comme gardien contre la révolution. Il a souvent été noté que ces politiques étaient liées au système contre-révolutionnaire de Metternich par l’intermédiaire de l’ambassadeur autrichien, le comte Karl Ludwig von Ficquelmont. Les offres de Nicolas pour réprimer la révolution sur le continent européen, en essayant de suivre le modèle établi par son frère aîné, le tsar Alexandre Ier, lui ont valu l’étiquette de « gendarme de l’Europe ».

Dès sa succession, Nicolas a commencé à limiter les libertés qui existaient sous la monarchie constitutionnelle dans la Pologne du Congrès. En 1830, Nicolas est indigné lorsqu’il entend parler de la révolte belge contre les Hollandais, ordonne la mobilisation de l’armée russe et demande à l’ambassadeur de Prusse l’autorisation pour les troupes russes d’avoir des droits de transit afin de restituer la Belgique aux Hollandais. Mais au même moment, l’épidémie de choléra décime l’armée russe et la révolte en Pologne immobilise les soldats russes qui auraient pu être déployés contre les Belges. Il semble probable que l’attitude belliqueuse de Nicolas à l’égard de la Belgique n’était pas un prélude à l’invasion, mais plutôt une tentative de faire pression sur les autres puissances européennes pour qu’elles envahissent la Belgique, Nicolas ayant clairement indiqué qu’il n’agirait que si la Prusse et la Grande-Bretagne participaient également, car il craignait qu’une invasion russe de la Belgique ne provoque une guerre avec la France. Avant même que les Polonais ne se soulèvent, Nicolas avait annulé son projet d’invasion de la Belgique, car il était clair que ni la Grande-Bretagne ni la Prusse ne se joindraient à lui, tandis que les Français menaçaient ouvertement de faire la guerre si Nicolas se mettait en marche. En 1815, Nicolas arrive en France, où il séjourne chez le duc d’Orléans, qui devient rapidement l’un de ses meilleurs amis, le grand duc étant impressionné par la chaleur personnelle, l’intelligence, les manières et la grâce du duc. Pour Nicolas, les pires personnages sont les nobles qui soutiennent le libéralisme, et lorsque le duc d’Orléans devient le roi des Français sous le nom de Louis-Philippe Ier lors de la révolution de juillet 1830, Nicolas prend cela comme une trahison personnelle, croyant que son ami est passé, comme il le voit, du côté obscur de la révolution et du libéralisme. Nicolas déteste Louis-Philippe, qui s’autoproclame « le roi citoyen », qu’il considère comme un noble renégat et un « usurpateur », et sa politique étrangère à partir de 1830 est essentiellement anti-française, fondée sur la relance de la coalition entre la Russie, la Prusse, l’Autriche et la Grande-Bretagne pour isoler la France. Nicolas déteste Louis-Philippe au point qu’il refuse d’utiliser son nom, l’appelant simplement « l’usurpateur ». La Grande-Bretagne ne veut pas se joindre à la coalition anti-française, mais Nicolas réussit à cimenter les liens existants avec l’Autriche et la Prusse, organisant régulièrement des revues militaires conjointes avec les Autrichiens et les Prussiens. Pendant une grande partie des années 1830, une sorte de « guerre froide » a existé entre le « bloc occidental » libéral de la France et de la Grande-Bretagne contre le « bloc oriental » réactionnaire de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie.

Après l’éclatement de l’insurrection de novembre, en 1831, le parlement polonais a déposé Nicolas comme roi de Pologne en réponse à sa réduction répétée de ses droits constitutionnels. Le tsar réagit en envoyant des troupes russes en Pologne. Nicolas écrase la rébellion, abroge la constitution polonaise, réduit la Pologne au statut de province, le Privislinsky Krai, et se lance dans une politique de répression à l’égard des catholiques. Dans les années 1840, Nicolas réduit 64 000 nobles polonais au statut de roturier.

En 1848, lorsqu’une série de révolutions convulse l’Europe, Nicolas est à l’avant-garde de la réaction. En 1849, il aide les Habsbourg à réprimer le soulèvement en Hongrie, et il incite également la Prusse à ne pas adopter une constitution libérale.

Empire ottoman et PerseEdit

La bataille de Navarin, en octobre 1827, marque la fin effective de la domination ottomane en Grèce.

Alors que Nicolas tentait de maintenir le statu quo en Europe, il suivait une politique un peu plus agressive envers les empires voisins au sud, l’Empire ottoman et la Perse. On pense généralement à l’époque que Nicolas suit la politique russe traditionnelle consistant à résoudre la « question orientale » en cherchant à partager l’Empire ottoman et à établir un protectorat sur la population orthodoxe des Balkans, encore largement sous contrôle ottoman dans les années 1820. En fait, Nicolas est profondément attaché au maintien du statu quo en Europe et craint que toute tentative de dévorer l’Empire ottoman en décomposition ne contrarie son alliée l’Autriche, qui a également des intérêts dans les Balkans, et n’entraîne une coalition anglo-française pour défendre les Ottomans. De plus, lors de la guerre de 1828-29, les Russes ont vaincu les Ottomans dans chaque bataille livrée sur le terrain et ont avancé profondément dans les Balkans, mais les Russes ont découvert qu’ils n’avaient pas la force logistique nécessaire pour prendre Constantinople.

La politique de Nicolas à l’égard de l’Empire ottoman consistait à utiliser le traité de Küçük Kaynarca de 1774, qui donnait à la Russie un vague droit de protecteur des peuples orthodoxes des Balkans, comme un moyen de placer l’Empire ottoman dans la sphère d’influence russe, ce qui était ressenti comme un objectif plus réalisable que la conquête de l’Empire ottoman tout entier. Nicolas souhaite en fait préserver l’Empire ottoman en tant qu’État stable mais faible, incapable de s’opposer à la Russie, ce qui sert les intérêts de cette dernière. Nicolas a toujours considéré la Russie comme une puissance européenne avant tout et a estimé que l’Europe était plus importante que le Moyen-Orient. Le ministre russe des Affaires étrangères, Karl Nesselrode, écrit dans une lettre à son ambassadeur à Constantinople, Nikolai Muravyov, que la victoire de Muhammad Ali d’Égypte sur Mahmud II conduirait à une nouvelle dynastie au pouvoir dans l’Empire ottoman. Nesselrode poursuit en disant que si le capable Muhammad Ali devenait sultan, cela « pourrait, avec l’élévation d’un nouveau personnage sur le trône turc, faire renaître une nouvelle force dans cet empire en déclin et détourner notre attention et nos forces des affaires européennes, et c’est pourquoi le monarque est particulièrement soucieux de maintenir le sultan sur son trône chancelant. » En même temps, Nicolas soutient qu’en raison de l’importance économique pour la Russie des détroits turcs, par lesquels la Russie exporte ses céréales, la Russie a le « droit » d’intervenir dans les affaires ottomanes. En 1833, Nicolas déclare à l’ambassadeur autrichien Karl Ludwig von Ficquelmont que « les affaires orientales sont avant tout l’affaire de la Russie ». Tout en affirmant que l’Empire ottoman se trouve dans la sphère d’influence russe, Nicolas précise qu’il n’a aucun intérêt à annexer l’empire. Lors d’une autre rencontre avec Ficquelmont en 1833, Nicolas, parlant en ayant à l’esprit le « projet grec » de la Grande Catherine, dit :  » Je sais tout ce qui a été dit des projets de l’impératrice Catherine, et la Russie a renoncé au but qu’elle s’était proposé. Je souhaite maintenir l’empire turc… S’il tombe, je ne désire pas ses débris. Je n’ai besoin de rien. » En fin de compte, les politiques de Nicolas au Proche-Orient se sont avérées à la fois coûteuses et largement futiles.

Prise de la forteresse d’Erivan par les troupes russes sous la direction d’Ivan Paskevich en 1827 pendant la guerre russo-persane

En 1826-28, Nicolas mène la guerre russo-persane (1826-28), qui se termine avec la Perse contrainte de céder ses derniers territoires dans le Caucase. La Russie avait conquis tous les territoires de l’Iran dans le Caucase du Nord et le Caucase du Sud, comprenant les actuelles Géorgie, Daghestan, Arménie et Azerbaïdjan, au cours du XIXe siècle. Le traité concédait en outre l’extraterritorialité aux sujets russes en Iran (capitulation). Comme l’ajoute le professeur Virginia Aksan, le traité de Turkmenchay de 1828 « a supprimé l’Iran de l’équation militaire »

La Russie a mené une guerre victorieuse contre les Ottomans en 1828-29, mais elle a peu contribué à accroître la puissance russe en Europe. Seul un petit État grec est devenu indépendant dans les Balkans, avec une influence russe limitée. En 1833, la Russie négocie le traité d’Unkiar-Skelessi avec l’Empire ottoman. Les principales parties européennes croient à tort que le traité contient une clause secrète accordant à la Russie le droit d’envoyer des navires de guerre par les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Par la Convention de Londres sur les détroits de 1841, elles ont affirmé le contrôle ottoman sur les détroits et interdit à toute puissance, y compris la Russie, d’y envoyer des navires de guerre. Encouragé par son rôle dans la répression des révolutions de 1848 et par sa conviction erronée de bénéficier du soutien diplomatique britannique, Nicolas prend des mesures contre les Ottomans, qui déclarent la guerre à la Russie le 8 octobre 1853. Le 30 novembre 1853, l’amiral russe Nakhimov surprend la flotte turque dans le port de Sinope et la détruit.

Préoccupés par les résultats d’une défaite ottomane face à la Russie, en 1854, la Grande-Bretagne, la France, le royaume de Sardaigne et l’Empire ottoman unissent leurs forces dans le conflit connu sous le nom de guerre de Crimée par les Ottomans et les Européens de l’Ouest, mais souvent appelé en Russie « guerre d’Orient » (russe : Восточная война, Vostochnaya Vojna). En avril 1854, l’Autriche signe un pacte défensif avec la Prusse. Ainsi, la Russie se retrouve dans une guerre avec toute l’Europe alliée contre elle.

En 1853, Mikhaïl Pogodine, professeur d’histoire à l’université de Moscou, écrit un mémorandum à Nicolas. Nicolas lui-même a lu le texte de Pogodine et a fait un commentaire approbateur : « C’est toute la question ». Selon l’historien Orlando Figes, « Le mémorandum a clairement touché une corde sensible chez Nicolas, qui partageait le sentiment de Pogodine que le rôle de la Russie en tant que protecteur des orthodoxes n’avait pas été reconnu ou compris et que la Russie était injustement traitée par l’Occident. » Pogodine écrivait :

La France prend l’Algérie à la Turquie, et presque chaque année l’Angleterre annexe une autre principauté indienne : rien de tout cela ne perturbe l’équilibre des forces ; mais quand la Russie occupe la Moldavie et la Valachie, même si ce n’est que temporairement, cela perturbe l’équilibre des forces. La France occupe Rome et y reste plusieurs années en temps de paix : ce n’est rien ; mais la Russie ne songe qu’à occuper Constantinople, et la paix de l’Europe est menacée. Les Anglais déclarent la guerre aux Chinois, qui les ont, paraît-il, offensés : personne n’a le droit d’intervenir ; mais la Russie est obligée de demander la permission à l’Europe si elle se querelle avec son voisin. L’Angleterre menace la Grèce de soutenir les fausses prétentions d’un misérable juif et brûle sa flotte : c’est une action licite ; mais la Russie exige un traité pour protéger des millions de chrétiens, et cela est réputé renforcer sa position en Orient aux dépens de l’équilibre des forces. Nous ne pouvons rien attendre de l’Occident si ce n’est une haine et une malveillance aveugles…

– Mémorandum de Mikhaïl Pogodine à Nicolas Ier, 1853

L’Autriche offre aux Ottomans un soutien diplomatique, et la Prusse reste neutre, laissant ainsi la Russie sans aucun allié sur le continent. Les alliés européens débarquent en Crimée et assiègent la base navale russe bien fortifiée de Sébastopol. Les Russes perdent des batailles à Alma en septembre 1854, puis à Balaklava et à Inkerman. Après le siège prolongé de Sébastopol (1854-55), la base tombe, révélant l’incapacité de la Russie à défendre une fortification majeure sur son propre sol. À la mort de Nicolas Ier, Alexandre II devient tsar. Le 15 janvier 1856, le nouveau tsar sort la Russie de la guerre dans des conditions très défavorables, qui incluent la perte d’une flotte navale sur la mer Noire.

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