La nicotine favorise la carcinogenèse pancréatique en perturbant les voies de signalisation et de transcription pour provoquer la dédifférenciation des cellules acineuses, rapportent les chercheurs dans le numéro de novembre de Gastroenterology.
Un quart des décès par adénocarcinome du canal pancréatique (PDAC) est associé au tabagisme, et le tabagisme lourd multiplie par 6 le risque de PDAC.
Bien que les fumeurs développent un PDAC plus fréquemment et environ 15 ans plus tôt que les non-fumeurs, leurs tumeurs contiennent les mêmes mutations. Le tabagisme pourrait donc favoriser la carcinogenèse pancréatique par des mécanismes autres que la mutagenèse.
Patrick C. Hermann et al. ont étudié les effets de la nicotine sur la carcinogenèse chez des souris prédisposées aux tumeurs pancréatiques. Les souris Ela-KRAS et KPC, qui expriment des formes oncogènes de KRAS dans les cellules pancréatiques, ont reçu de la nicotine pendant une période allant jusqu’à 86 semaines afin de produire des niveaux sanguins comparables à ceux des fumeurs intermédiaires.
Bien qu’il n’y ait pas eu de changements significatifs dans le poids corporel des souris qui ont été vs n’ont pas été exposées à la nicotine, les souris auxquelles on a donné de la nicotine ont présenté de graves changements morphologiques dans le pancréas. Les zones de néoplasie intraépithéliale pancréatique (PanIN), de métaplasie acinaire à canalaire et d’atrophie étaient significativement plus nombreuses chez les souris exposées à la nicotine par rapport aux témoins, et les cellules canalaires des PanIN avaient une activité proliférative accrue.
Les auteurs n’ont pas trouvé de lésions néoplasiques chez les souris sans mutations KRAS exposées à la nicotine, soutenant le concept que la nicotine elle-même n’est pas cancérigène.
Toutefois, les niveaux des facteurs de transcription GATA6 et MIST1 étaient régulés à la baisse après 86 semaines d’exposition à la nicotine. Il y avait également une forte diminution de l’expression des gènes acinaires, de la granularité acinaire et de la production d’enzymes, indiquant une perte de différenciation acinaire.
Les auteurs ont ensuite montré que la nicotine réprimait l’activité du promoteur de Gata6 dans les cellules acinaires en activant la signalisation AKT-ERK vers MYC.
Hermann et al. concluent que la nicotine supprime le régulateur du destin acinaire GATA6, et par la suite d’autres facteurs de transcription comme MIST1, ce qui entraîne une perte de cellules acineuses pancréatiques et une augmentation de la plasticité cellulaire et de l’activité des progéniteurs.
Ils proposent que cette dé-différenciation du compartiment acinaire induite par la nicotine rende les cellules plus sensibles à la transformation oncogène par KRAS oncogène, ou en combinaison avec la perte d’activité de TP53 (voir figure).
Hermann et al. précisent qu’il est important de noter que la nicotine peut également augmenter l’activité de KRAS oncogène, mais seulement lorsque les niveaux de GATA6 sont faibles.
La metformine a été rapportée comme réduisant le risque de cancer du pancréas et comme inhibant plusieurs des mécanismes nécessaires aux effets de la nicotine. Hermann et al. ont également montré que les effets induits par la nicotine pouvaient être compensés par la metformine. Ils ont conclu qu’en favorisant la différenciation des cellules acineuses, la metformine contrecarre les effets des substances nocives environnementales en favorisant l’engagement et la différenciation des acineuses.
La nicotine a contribué non seulement aux premiers stades de la carcinogenèse pancréatique, mais aussi à la progression des tumeurs de stade avancé. Elle a augmenté l’agressivité des tumeurs établies, a induit la transition épithélio-mésenchymateuse et a augmenté le nombre de cellules cancéreuses circulantes et leur dissémination vers le foie. La nicotine a incité les cellules pancréatiques à acquérir des modèles d’expression génique et des caractéristiques fonctionnelles de cellules souches cancéreuses.
Dans un éditorial, Moorthy P. Ponnusamy et Surinder K. Batra ajoutent que la nicotine modifie les fonctions des cellules cancéreuses, en augmentant leur prolifération et leurs activités angiogéniques. La nicotine et la cotinine, le dérivé métabolique de la nicotine, peuvent être détectées dans le pancréas d’animaux exposés à la fumée de tabac. Une étude précédente a montré que la nicotine augmentait la mucine MUC4 dans les cellules cancéreuses du pancréas en activant le récepteur nicotinique α-7 (α7nAChR), en signalant via JAK2-STAT3 pour promouvoir les métastases.
Hermann et al. déclarent que leurs dernières découvertes fournissent des arguments solides pour éliminer la consommation de nicotine, car elle est le principal facteur de risque de PDAC, et pour concevoir des schémas thérapeutiques à base de metformine pour les patients à haut risque de PDAC.