Présentation du cas
Une femme de 29 ans se présente aux urgences après un épisode pré-syncopal survenu alors qu’elle se douchait. Elle est souffrante depuis environ deux semaines avec un syndrome grippal qui a évolué vers une toux. Elle a développé une éruption cutanée environ une semaine avant sa présentation. L’éruption est devenue érythémateuse et confluente sur le torse et les membres (Figure 1a). L’érythème est constellé de petites pustules.
La patiente est fébrile et mal en point mais a un niveau de conscience normal. On note chez elle une augmentation marquée du nombre de neutrophiles à 18,0×109 cellules/L (plage normale, 2,0×109 à 7,0×109 cellules/L). Les autres paramètres sanguins sont normaux.
La femme a subi une thyroïdectomie pour un cancer de la thyroïde deux semaines auparavant et se remet bien. Ses médicaments réguliers sont la thyroxine et les suppléments de calcium. Alors qu’elle n’était pas bien avec le syndrome grippal, elle dit avoir pris un cours d’antibiotiques et elle a commencé un sirop contre la toux pour sa toux productive au cours de la dernière semaine.
Elle est admise à l’hôpital pour une investigation et un traitement. L’éruption commence à desquamer pendant son admission (figure 1b).
Diagnostics différentiels
Les conditions à considérer parmi les diagnostics différentiels sont les suivantes.
- Dermatite de contact allergique. La dermatite de contact allergique est typiquement caractérisée par des éruptions érythémateuses bien délimitées et intensément prurigineuses. La réaction peut être parcellaire ou diffuse pour les allergènes appliqués sur une grande surface. Les vésicules et les cloques sont fréquentes dans la dermatite de contact (Figure 2), mais les pustules ne sont généralement pas une caractéristique. Les patients ont des démangeaisons mais ne sont pas malades et il n’y a pas de modification de la formule sanguine. Il est peu probable que ce soit le diagnostic pour le patient du cas, qui n’avait pas d’antécédents de contact avec un nouvel agent topique.
- Folliculite. Il s’agit de l’éruption classique qui provoque des pustules généralisées (figure 3). La folliculite est le plus souvent une infection à Staphylococcus aureus. Elle peut être causée par d’autres agents, notamment les organismes Pityrosporum et Pseudomonas, mais généralement pas en tant qu’événement aigu. Les pustules sont généralement des lésions individuelles, ne se produisant pas sur un large fond d’érythème, et le patient est en bonne santé, afébrile et ne présente pas de neutrophilie. Les écouvillons renvoient généralement Staphylococcus aureus. Une folliculite stérile caractérisée par des éosinophiles peut également se produire chez les patients atteints de la maladie du VIH.
- Réaction médicamenteuse avec éosinophilie et symptômes systémiques (DRESS). Également connu sous le nom de syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse, il s’agit d’une réaction rare et grave à un médicament. Contrairement aux autres réactions médicamenteuses, le DRESS se développe deux à huit semaines après le début de la prise du médicament en cause. Les médicaments les plus fréquemment associés sont les antiépileptiques, l’allopurinol, l’olanzapine et les sulfamides. Les patients atteints du DRESS présentent une fièvre, une éruption morbilliforme, une lymphadénopathie et une inflammation d’un ou plusieurs organes principaux. De plus, des anomalies hématologiques sont souvent présentes, notamment une éosinophilie, des lymphocytes atypiques, une thrombocytopénie et une anémie. L’éruption cutanée des patients atteints de DRESS a une morphologie variable et peut inclure des lésions cibles et des pustules. Pour la patiente du cas, ce diagnostic n’était pas probable car ses éosinophiles n’étaient pas dérangés, il n’y avait aucun signe d’atteinte d’un organe majeur et elle a développé l’éruption moins d’une semaine après avoir commencé les antibiotiques et le sirop contre la toux.
- Syndrome de Stevens-Johnson (SJS) et nécrolyse épidermique toxique (TEN). Le SJS et le TEN sont des urgences dermatologiques. Tous deux commencent par de la fièvre et une éruption érythémateuse aiguë qui évolue vers la formation de cloques. Chez les patients atteints de TEN, on observe également une desquamation de grandes surfaces de peau. Le SJS est le plus souvent déclenché par l’herpès simplex et Mycoplasma pneumoniae. Le TEN est le plus souvent secondaire à des médicaments, les causes les plus fréquentes étant les antiépileptiques, les sulfamides, l’allopurinol et les AINS. L’éruption se caractérise par une atteinte des muqueuses de la bouche, du vagin, du rectum et des yeux. La peau est érythémateuse aiguë et douloureuse.
- Psoriasis pustuleux. Il s’agit d’une forme exanthématique aiguë rare de psoriasis caractérisée par une éruption érythémateuse constellée de pustules stériles (figures 4a et b). La peau est modérément douloureuse. Les patients ne sont pas gravement malades mais peuvent avoir de la fièvre et des rigueurs dues à une perte de contrôle de la température. Une neutrophilie modérée peut être présente. Environ 10 % des patients qui développent un psoriasis pustuleux ont des antécédents de psoriasis chronique. Le psoriasis pustuleux est déclenché par l’arrêt brutal des corticostéroïdes, des médicaments (lithium, aspirine, indométhacine) ou une infection.
- Pustulose érythémateuse aiguë généralisée (PEAG). Il s’agit du diagnostic correct. L’AGEP est une éruption cutanée peu fréquente caractérisée par le développement rapide d’une éruption érythémateuse avec des pustules stériles superficielles. L’éruption commence typiquement autour du visage mais se généralise, et elle est pire dans les plis de la peau. L’AGEP est secondaire à des médicaments dans 90 % des cas, les causes les plus fréquentes étant les bêta-lactamines, les tétracyclines, les sulfamides et les agents antifongiques. Cependant, la pholcodine, que l’on trouve dans certains sirops contre la toux, a été impliquée.1,2 C’était l’agent responsable dans ce cas. Les infections virales sont impliquées chez les enfants. L’éruption cutanée commence généralement deux à quatre jours après l’exposition à l’agent responsable. Les patients sont typiquement assez mal en point et fébriles avec un nombre de globules blancs très élevé, ce qui est plus élevé que ce que l’on attendrait d’une infection bactérienne.
Investigations
L’AGEP est diagnostiquée sur la base de l’histoire, des caractéristiques de l’éruption, de l’augmentation du nombre de neutrophiles et de la biopsie cutanée. Un spécimen de biopsie compatible avec un PEAG présente des pustules stériles remplies de neutrophiles, ce qui était le cas chez ce patient. Il est également important d’identifier le médicament ou le virus responsable. Un test épicutané peut être effectué pour identifier le médicament responsable, mais il peut généralement être déduit en raison du court délai entre l’exposition et le développement de l’éruption.
Le psoriasis pustuleux peut être très difficile à différencier du PEAG car les caractéristiques cliniques et biopsiques sont similaires, comme cela s’est produit chez ce patient. La différenciation résidait dans l’histoire précédente des médicaments et de la maladie.
Management
La première et la plus importante étape du management dans le PEAG est d’arrêter le médicament responsable. Comme le PEAG peut être précipité par des médicaments en vente libre, il est important de se renseigner sur ces derniers spécifiquement. On peut commencer à administrer de la prednisone pour accélérer la résolution, mais l’éruption disparaîtra spontanément dès l’arrêt du médicament en cause, en 10 jours environ. Une gestion de soutien est indiquée pour soulager les symptômes, et est accomplie par l’utilisation de pommade émulsifiante, de pommades corticostéroïdes topiques, d’enveloppements humides et d’antihistaminiques oraux.
Résultat
L’état de la patiente s’est amélioré avec la prednisone 0,5 mg/kg/jour, la pommade topique de dipropionate de bétaméthasone et la pommade émulsifiante plus les antihistaminiques oraux. Elle a été renvoyée chez elle en bonne santé après cinq jours.