Interaction entre la warfarine et l’acétaminophène chez une femme de 47 ans

Discussion

Ce cas décrit une interaction médicamenteuse indésirable entre l’acétaminophène et la warfarine entraînant un saignement potentiellement mortel chez une patiente qui avait besoin d’une anticoagulation en raison d’une valve mécanique. La warfarine est un médicament qui nécessite une surveillance et un titrage minutieux, car ses effets sont soumis à des facteurs génétiques individuels, à des changements physiologiques et liés à l’âge, ainsi qu’à des interactions pharmacodynamiques et pharmacocinétiques avec des aliments et des médicaments.1 Même si l’acétaminophène peut interagir avec la warfarine, ces 2 médicaments sont couramment coprescrits.2-Une étude de cohorte rétrospective américaine portant sur 134 833 patients prenant de la warfarine a révélé que 18,5 % de ces patients se voyaient également prescrire de l’acétaminophène, bien que le pourcentage réel soit probablement plus élevé étant donné que cette étude n’incluait pas l’acétaminophène obtenu en vente libre5. Une étude cas-témoins portant sur 93 patients a suggéré que l’acétaminophène était un facteur de risque significatif d’excès d’anticoagulation à la warfarine, avec un risque jusqu’à 10 fois plus élevé d’avoir un INR supérieur à 6,0.6 Une revue systématique et une méta-analyse de 7 essais contrôlés randomisés (ECR) examinant les différences moyennes de changement maximal de l’INR en comparant l’acétaminophène (1.3-4 g/j) à un placebo chez des patients prenant des antagonistes de la vitamine K a révélé que l’acétaminophène entraînait une augmentation proportionnelle à la dose du RIN de 0,17 par gramme par jour, avec une augmentation moyenne du RIN de 0,62.2 La durée de l’utilisation concomitante de warfarine et d’acétaminophène allait de 10 jours à 6 semaines.2 Il est important de noter que les essais ont retiré les patients pour des raisons de sécurité si leur INR s’écartait trop de la cible (par exemple, > 3,3 ou 3,5), sous-estimant ainsi la gravité de l’augmentation de l’INR si l’utilisation de l’acétaminophène avait été poursuivie.2

L’acétaminophène n’interfère pas avec le métabolisme ou la clairance de la warfarine, mais entraîne plutôt une interaction pharmacodynamique par laquelle les effets combinés affectent de manière synergique la coagulation et augmentent l’INR (figure 1). Le mécanisme est dû aux effets oxydatifs du métabolite de l’acétaminophène, la N-acétyl-p-benzoquinone-imine (NAPQI), sur plusieurs étapes du cycle de la vitamine K.3,4 La NAPQI, l’intermédiaire réactif responsable des lésions hépatiques dans la toxicité de l’acétaminophène, est métabolisée à partir de l’acétaminophène par l’isoforme 2E1 du cytochrome P450 (CYP). Le NAPQI est normalement détoxifié par le glutathion en cystéine et en conjugués d’acide mercapturique.7 Le NAPQI peut s’accumuler pour diverses raisons, notamment une déplétion en glutathion, un excès d’acétaminophène ou une induction du CYP2E1 (par ex, NAPQI interfère avec le cycle de la vitamine K en inhibant la carboxylase dépendante de la vitamine K et l’époxyde réductase de la vitamine K via l’oxydation des groupes sulfhydryle et des groupes cystéine, respectivement, et oxyde l’hydroquinone de la vitamine K (la forme réduite de la vitamine K), diminuant ainsi le substrat disponible pour la carboxylase dépendante de la vitamine K. Ces effets combinés de la NAPQI et de l’époxyde réductase de la vitamine K ont pour effet d’augmenter le risque d’accidents vasculaires cérébraux. Ces effets combinés du NAPQI et de la warfarine provoquent une déplétion plus prononcée des facteurs de coagulation activés dépendants de la vitamine K, ce qui entraîne une élévation de l’INR et du risque de saignement.1,3,4 Les variations génétiques individuelles de l’activité de toutes ces enzymes remettent en question la prévisibilité de la réponse à la warfarine et la susceptibilité aux interactions1.

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